Quand tombe accidentellement un revolver dans ta bouche
Témoignage de Jacques Champagne, Directeur de la polyvalente de Mondrelle (1984-1996)
Edward était un élève indiscipliné. Je ne pouvais passer une semaine sans qu'il me soit référé à mon bureau. L'inattention, le conflit avec les autorités, les absentéismes réguliers, sa consommation de drogues fréquente était autant de raisons pour lesquelles nous avons remis en question son projet d'études. En 1993, nous avons dû le suspendre pour une année, afin qu'il médite sur sa conduite. Il n'est jamais revenu. Je me souviendrai toujours de Edward étant un élève excentrique, incapable de se plier à nos exigences. C'est toujours avec difficulté qu'il trouvait ses arguments et il avait peine à expliquer ce qui le poussait à faire ses études. Hormis l'art, c'était difficile de lui trouver un centre d'intérêt, et le moindrement qu'il témoignait d'une passion n'ayant aucun lien pour nous avec les arts, il trouvait le moyen d'en faire. J'étais découragé par ses actions et ses propos, mais aujourd'hui, j'y repense, et c'est avec un peu de fascination que je me remémore sa conduite. La plupart du temps lorsqu'il me parlait, il interprétait d'étranges personnages dans des contextes inopportuns. Par exemple, lorsque nous avons abordé le sujet sa suspension avec sérieux, il me parlait avec un accent italien. Les accents qu'il maîtrisait étaient innombrables ; Mexicain, Africain, Francais, Espagnol, Asiatique ou Anglais. Je n'en finissais plus d'être étonné. Il nous parlait avec des airs robotisés, de vieillards, d'éfféminés, d'enfants ou de sophistiqués. Le plus étonnant, c'était sa transition d'un genre à l'autre. En une phrase, il pouvait jongler naturellement d'une à l'autre, d'une façon éloquente et extrêmement habile. Lorsque je perdais patience et que je menaçais de le sanctionner, il arrêtait un bref temps, mais bien vite il se mettait à recommencer, comme une pulsion qui était plus forte que lui. Il prenait plaisir à faire ce genre de choses, je le sentais. Il nous demandait de le vouvoyer ou de lui donner des surnoms bizarres. En ce qui concernait les autres élèves, ils avaient beaucoup de difficulté à s'adapter à ses excentricités. Les seuls qui le fréquentaient étaient des rebelles qui finissaient par se faire renvoyer dû à leurs conduites ou à leurs consommations de drogues. Je ne sais pas exactement ce qu'il prenait lui-même comme drogues mais je me souviens l'avoir vu dans de bien étranges états, incapable de me répéter ce que je tentais de lui expliquer. J'étais plus souple à son égard, connaissant sa situation difficile et fragile. Nous avons hésité longuement avant de mettre fin à ses cours, mais après un certain temps, ce théâtre exubérant devint insupportable et nuisaient à l'éducation des autres élèves. Nous lui avions proposé un encadrement différent et adapté à ses besoins mais il n'a jamais rien voulu entendre. Dans les pauses alors que les autres élèves faisaient du sport, lui s'isolait dans un coin à faire du coloriage d'une façon inusitée et complètement indescriptible. Je n'avais jamais vu un élève autant replier sur lui avec une si grande introspection et motivation d'exprimées des pulsions intérieures. C'était indéniablement un artiste et je savais que c'était la seule voix dans laquelle il pourrait s'épanouir. Sans quoi, je ne sais pas ce qu'il serait devenu.
Ecrit par mouha, le Vendredi 9 Mars 2007, 14:48 dans la rubrique "Divers".
